samedi 31 octobre 2020

La Conciergerie : une prison devenue légendaire


   

La Conciergerie : une prison devenue légendaire

Petit guide historique d’un grand bâtiment de France

 

Paris, février 2020. Autant dire une autre époque! Je fais un passage éclair dans la capitale pour voir quelques amis avant de me rendre à Lens pour un voyage de presse avec toute l’équipe En France Aussi. Peu de temps pour faire autre chose que de manger et boire (c’est Paris, après tout) mais juste assez pour faire la visite d’un endroit devenu tristement célèbre où je n’avais encore jamais mis les pieds mais que l’amatrice d’anecdotes historiques en moi espérait depuis longtemps : la célèbre Conciergerie de Paris!

 

Cet article participe au rendez-vous interblogueurs En France Aussi (oui, oui, après plusieurs mois d’absence, je fais un retour)! Ce rendez-vous mensuel, créé par Sylvie du blogue Le Coin des Voyageurs, invite les blogueurs à faire découvrir chaque premier jour du mois les richesses du patrimoine de la France et ses beautés selon un thème donné. Ce mois-ci, le thème « Légende » a été choisi par Audrey du blogue Arpenter le Chemin (la plus canadienne des blogueuses françaises)!

 


L’atmosphère est particulière en ces lieux chargés de mémoire où légendes et Histoire s’entremêlent. On ressent presque la présence d’illustres fantômes nous frôler au détour d’une ancienne cellule. Pour nous, québécois, le personnage principal qui hante les murs de cet ancien palais possède une aura un peu mythique. Mais que s’est-il vraiment passé par ici pour que le bâtiment et sa plus célèbre pensionnaire entrent dans la légende ? Et connaissez-vous ces légendes plus ou moins loufoques que trainent derrière eux les grands hommes et grandes femmes de France qui se sont promenés dans ces couloirs ?


  

De Palais à prison

Avant d’être la prison que l’on connaît, la Conciergerie fut d’abord Palais de la Cité, érigé au Xe siècle sur l’île du même nom, d’abord comme demeure des comtes de Paris puis pour les anciens rois de France. Sous le roi Saint-Louis, vers 1240, le Palais s’agrandit. Presque 100 ans de travaux seront alors mis en branle mais on retient surtout la construction de multiples chapelles qu’il fit aménager dans son enceinte vu son caractère très pieux.

 

Carthage, août 1270, le Roi Louis IX meurt en croisade après avoir pris d’assaut la ville, probablement de l’épidémie de dysenterie (ou de typhus, rien n’est moins clair) qui ravage ses troupes. Sa dépouille est alors ramenée en France. Deux miracles surviennent lors de son passage en Sicile, deux autres sont reconnus par l’Église dans le nord de l’Italie et ils finissent par se multiplier autour de son tombeau à la basilique Saint-Denis. Tellement que les forces de l’ordre doivent tenter de contrôler la population qui vient s’y recueillir dans l’attente d’une guérison miraculeuse ou d’une réclamation quelconque. Il est canonisé en tant que Saint-Louis en 1297 mais ses reliques connaîtront un triste destin, dispersées pendant la Révolution et d’abord disputées entre royauté et monastères (Anne d’Autriche, insatisfaite de son morceau de côte, réclame une côte entière alors que les moines de Saint-Denis, pour leur part, refusent de se contenter d’un bras ou d’un tibia)…

 


À l’époque de la Révolution française, la chapelle qui reste aujourd’hui sert de lieu de culte où on célèbre les messes de la prison mais elle servira aussi plus tard de cachot collectif pour les révolutionnaires condamnés. La légende dit qu’en octobre 1793, à la veille d’être guillotinés, 21 députés Girondins y tiennent leur dernier banquet dans une ambiance lourde, on peut l’imaginer.

 

La Chapelle qui subsiste encore aujourd'hui


« Le souper funéraire était dressé dans le grand cachot. Les mets recherchés, les vins rares, les fleurs chères, les flambeaux nombreux, couvraient la table de chêne des prisons. Luxe de l’adieu suprême, prodigalité des mourants qui n’ont rien à épargner pour le jour suivant. Les condamnés s’assirent à ce dernier banquet, d’abord pour restaurer en silence leurs forces épuisées, puis ils y restèrent pour attendre avec patience et avec distraction le jour. Ce n’était pas la peine de dormir. »

                                                   - Lamartine, 1847

 

Philippe IV Le Bel fit, quand à lui, reconstruire le Palais. Les travaux se terminèrent à la fin de son règne en 1313. Il fit aménager la Grand-Salle (maintenant rattachée au palais de justice), une immense pièce avec une multitude de piliers et la salle des Gens d’Armes, un grand réfectoire qui accueillait le personnel du palais estimé à près de 2000 âmes. Les expropriations de voisins furent nombreuses. C’est à lui aussi que l’on doit l’architecture gothique des lieux.


Paris, mars 1314, ça brasse depuis quelques années entre le Roi de France Philippe le Bel et l’Ordre des Templiers qui, par sa richesse et son influence et selon Philippe, menace le Trône de France et la Papauté. Il a d’ailleurs fait arrêter et torturer ses membres en octobre 1307 afin de leur faire avouer les pires crimes pour ainsi les faire disparaître. Mais en ce printemps historique, leur chef Jacques de Molay est amené au bûcher. Avant de brûler vif, il lance une lourde malédiction sur ses accusateurs et leur descendance. Le mois suivant, le pape Clément V meurt d’un cancer fulgurant alors qu’en novembre de la même année, le Roi Philippe décède d’un accident de chasse et sa lignée s’éteint quelques générations plus tard…

 


 

Sous le règne de Jean Le Bon est ajoutée la tour de l’Horloge mais aussi une cuisine mieux isolée du reste du palais et plus près de la Seine afin d’éviter les incendies et de rendre plus facile son approvisionnement puisque les produits arrivaient par bateau. Son fils, Charles V, quitte le palais dès 1360. Les rois subséquents utilisent encore le palais lors de grands événements mais rapidement, la royauté s’installe au Louvre puis à Versailles.

Le réfectoire

 

Pourquoi La Conciergerie ?

C’est bien simple! À l’époque de la résidence des rois, le palais sert également de logement pour le concierge des lieux. L’homme en charge de cette tâche possédait un rôle d’importance, celui de gardien chargé d’assurer l’ordre, de percevoir les loyers et de représenter le pouvoir royal. Lorsque le palais est officiellement transformé en prison, vers 1370, le terme subsiste pour celui qui devient dès lors son geôlier. En plus de s’occuper de l’administration de la justice et de la police, il doit gérer l’enregistrement des prisonniers qui y entrent de son bureau situé dans le couloir menant aux cellules.

Le couloir des cellules

 

Paris, octobre 1793, s’ouvre le procès de Marie-Antoinette où défilent une quarantaine de témoins qui apportent devant la cour leur lot de rumeurs, plus folles les unes que les autres et qui contribuent à sa condamnation pour haute trahison. Parmi celles-ci, la plus énorme d’entre toutes, celle de l’accuser de relations incestueuses avec son fils et héritier du Trône afin de l’ancrer dans la légende comme le monstre qu’elle n’a sans doute pas complètement été…

 


Les bureaux du greffier et du... Concierge!

 

La Prison de Marie-Antoinette

Été 1789, la Révolution française fait rage. Le peuple français se révolte, en pleine crise économique et politique, contre les pouvoirs en place et incidemment, la monarchie qui a, au cours des dernières années, un peu trop profité de la vie au détriment de ses sujets. Une horde de français mécontents assiègent Versailles et ramènent le roi Louis XVI, son épouse Marie-Antoinette et la famille royale aux Tuileries. Après avoir tenté une évasion, la famille royale est emprisonnée à la prison du Temple et le roi est rapidement exécuté. Quant à Marie-Antoinette, elle est alors transférée à la Conciergerie, laissant derrière elle ses enfants, d’où elle subira un procès pas tout à fait dans les règles qui ne durera que deux jours et sera condamnée à mourir sous la guillotine, le 16 octobre 1793, près de trois mois après son entrée ici.

L'entrée de la chambre de Marie-Antoinette

 

Rambouillet, 1785, Louis XVI, Roi de France et époux de Marie-Antoinette, commande à un artiste des coupes pour le service de laiterie de la Reine. L’artiste renommé pense alors à créer un bol-sein qui servirait à y boire le lait mais aux allures d’une coupe. Vraie ou fausse, la légende dit que la coupe en question aurait été moulée sur le sein de la Reine et qu’il s’agirait à ce moment de l’invention de la coupe à champagne!

 


Normalement, on ne reste pas longtemps à la Conciergerie. On y arrive avant son procès et on en ressort aussitôt le jugement rendu, souvent rapidement expédié. Défileront ici tous les genres d’accusés, de l’opposant politique au grand criminel en passant par le petit faussaire. Pendant la Révolution, on y compte plus de 500 détenus qui financent eux-mêmes leur détention. Les plus riches profitent des plus grandes cellules, reçoivent des visites, obtiennent du papier pour écrire alors que les plus pauvres s’entassent dans de petites cellules sombres. Femmes et hommes s’y retrouvent chacun dans leur section. Les conditions d’incarcération de Marie-Antoinette sont méconnues et teintées de légendes invraisemblables. On attribue à ses bourreaux les pires supplices dignes d’une martyre chrétienne. On sait cependant qu’elle n’a pas pu bénéficier des mêmes avantages que d’autres nobles.

On autorise les prisonniers à sortir dans les cours intérieures, une pour les femmes, une pour les hommes. Avec la chapelle, la cour des femmes reste le lieu le mieux conservé de tout le bâtiment. Au premier étage se trouvaient les plus aisées d’entre elles qui avaient vue sur la cour alors qu’au rez-de-chaussée, on aperçoit encore les grilles des cachots qui accueillaient les plus pauvres. On imagine facilement l’angoisse que pouvait ressentir tous ces gens…

 

La cour des femmes


Versailles, été 1901, deux touristes britanniques en visite au château se promènent dans les allées du parc en direction du Petit Trianon, l’antre de la reine pendant ses fastes années sur le domaine. Elles se perdent dans l’immensité du parc mais en reviennent en affirmant qu’après avoir fait toutes deux un malaises inexplicables, elles ont fait la rencontre de nul autre que du fantôme de Marie-Antoinette, paisiblement assise sur la pelouse en robe et chapeau blanc. Finalement, pour faire la rencontre de son fantôme, vaut peut-être mieux fréquenter Versailles que la Conciergerie mais une chose est sûre, les légendes autour de cette Reine de France perdurèrent longtemps!

 

 

Lorsque les mouvements révolutionnaires de nos cousins français se furent calmés, les tribunaux s’installèrent définitivement dans le bâtiment. Encore aujourd’hui, le Palais de Justice de Paris et la Cour du May (d’où partaient les charrettes chargées de leurs condamnés vers la guillotine) se trouvent adjacents à l’entrée des visiteurs de la Conciergerie.


 

Et si vous poussez votre balade juste un peu plus loin, vous ne pourrez rater un autre des plus célèbres bâtiments de Paris (que dis-je, un des plus illustres bâtiments du monde), lui aussi situé sur l’île de la Cité et lui aussi imprégné de grandes légendes immortelles… Mais ça, c’est une autre histoire!


Pour plus d’informations et vérifier tarif et heures d’ouverture, c’est ici, sur le site de la Conciergerie!

Pour voir la carte de tous les articles publiés par les participants du rendez-vous sur le même thème ce mois-ci, c'est par ici!

 

De Paris, vous pouvez aller partout en France! Mais je vous recommande avant tout de poursuivre votre voyage en suivant ces liens :

À Lens, où je me suis rendu en train de Paris.

À Marseille, évidemment! 

Ou pourquoi pas à Lille ?

 

  

VOUS AIMEZ? ÉPINGLEZ-MOI!

12 commentaires:

  1. Difficile de ne pas être ému dans la cour des femmes, où les détenues se promenaient, avant de dire adieu, pour toujours, à leurs familles. Merci de nous avoir fait découvrir une partie des mystères de Paris, encore méconnue, loin de l'image de la ville Lumière...

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    1. On a beau avoir lu sur l'époque et sur l'histoire des lieux, lorsqu'on y entre, on prend toute la mesure des événements.

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  2. visité il y a quelques années, c'est un lieu qui m'a beaucoup marquée aussi!

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  3. Je ravie de te lire. Ce monument est aussi beau qu'intrigant. Tu retraces à merveille ta visite et les sentiments que l'on peut ressentir devant tout ce que la Conciergerie représente. Merci Annabelle.

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    1. Honorée de ton message Sabrina! J'aime tellement tes histoires sur Paris, j'espérais être à la hauteur!

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  4. j'y étais il y a trois semaines! Merci de m'y replonger! As-tu visité la Sainte chapelle attenante?

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    1. Manque de temps malheureusement mais quelle visite fascinante!

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  5. Quel endroit incroyable et chargé d'histoire ! J'ai découvert cet endroit petite, il a beaucoup éveillé mon imagination ! J'y suis retournée quelques fois pour le faire découvrir à des étudiants étrangers, toujours avec le plaisir de retrouver cette ambiance très particulière. As-tu visité aussi la Sainte-Chapelle ?

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  6. J'aime beaucoup le cachet de ce lieu, les histoires qui ont pu s'y vivre, on peut imaginer une certaine ambiance <3

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